Le prix du chant
Coup de gueule de Natasha En introduction de ces deux textes que Natasha m'a envoyés, je tiens à préciser que ses spectacles sont d'une grande qualité, et que malheureusement elle est obligée trop souvent de chanter à perte, car elle met un point d'honneur à payer ses musiciens et les frais de déplacement. Pour tout cela frangine, pour la qualité de ton spectacle "Lumière noire" avec les chansons de Léo Ferré, pour ton intégrité et ton combat pour la reconnaissance de la chanson d'auteur, je te salue avec toute mon amitié. ( Gérard Gorsse)
par Natasha Bezriche, octobre 2014
"Pour la plupart des personnes, être artiste et chanteur notamment, et exercer son art en France est une sacrée aubaine. Paris, Lyon, Toulouse, Montpellier ….Voici des villes (amis il y en a d’autres bien sûr) où sont représentés le plus grand nombre de spectacles vivants par soir !
Des grandes scènes nationales subventionnées avec metteurs en scène tendance , têtes d’affiche, aux petits théâtres programmant aussi des spectacles exigeants et de qualité, le choix est large et peut répondre à toutes les envies de spectacles.
Seulement, derrière cette offre alléchante se cache une autre facette : une réalité économique difficile qui plonge souvent les artistes dans des situations dramatiques. Car jouer à Paris, Lyon, ou Marseille coûte cher. Très cher. Et rares sont ceux qui gagnent chaque soir plus que le prix du sandwich qu’ils vont s’offrir en sortant de scène (et parfois même pas !!)…
Etre à l’affiche à Paris, ou dans une grande ville de France, même s’il ne s’agit que d’un petit cabaret-théâtre caché au fond d’une rue, c’est un luxe pour les compagnies et les ACI qui font pourtant la vivacité de la création artistique de ce beau pays de France. Etre programmé plusieurs soirs par semaine demande pour ces artistes un effort financier redoutable. Car les salles parisiennes, lyonnaises, Toulousaines etc… accessibles à la création, aux spectacles innovants -mais non subventionnés - n’ouvrent pas leurs portes sur un simple partage de recettes. Le système du « minimum garanti » qui existe presque partout est un gouffre dans lequel de nombreux protagonistes s’enlisent, faute de mieux.
Mais comment cela fonctionne au final ? Le principe est simple : lorsqu’un artiste (chanteur ou comédien), est programmé dans ces salles, il s’engage à verser chaque soir une somme forfaitaire, le fameux « minimum garanti ». Celui-ci ne se base pas sur le nombre d’entrées. Il est dû, que la salle soit pleine ou vide. Généralement fixé entre 150 à 250 euros hors taxes par soir pour des salles de 50 à 100 places, il peut vite devenir un enfer pour certains qui s’endettent très rapidement.
A raison de trois représentations par semaine sur 1 mois, (pour une création théâtrale par exemple), les sommes peuvent atteindre des sommets ! Certaine salles de spectacle vont même jusqu’à vous demander en plus, à la signature du contrat, un budget « communication » de plusieurs milliers d’euros. Ce budget se veut destiner à payer le théâtre, la salle ou le cabaret, à promouvoir votre travail… Car évidemment, on l’a vécu , donc on le sait maintenant : part soi-même, personne ne se chargera d’aller chercher le public, on s’en doute bien !.
On envoie, à nos seuls frais, quelques semaines avant : des affiches et des flyers, au dit théâtre et on les découvre dans la corbeille à papier en arrivant sur les lieux je jour J !!! On peut aussi se voir facturer le prix de l’utilisation du piano (qui pourtant appartient au théâtre) et facturer en plus aussi, l’accordage du piano !!!
Mais le système est encore plus implacable. Car une fois ce minimum garanti payé, l’artiste doit bien entendu reverser 60% voire 50% de ses recettes au théâtre! Cela s’appelle « le partage de recettes ».
Au final, ce qui reste ne sert même pas à payer les musiciens, le chanteur…ou les comédiens….Ni l’hébergement, ni les défraiements -trajets train et panier repas-. On en est de sa poche à chaque fois !! Mais enfin, c’est écrit où que l’on doit payer soi-même pour travailler ?... Pour avoir le droit d’exercer son art ??? Dans quel code du travail ? Quelle convention collective ???
(En fait, dans l’inconscient collectif, la question sous-jacente et qui reste toujours crochée aux esprits -mais qui parfois est formulée- c’est la suivante : « Mais à part chanter, c’est quoi votre VRAI Métier ??? Oui, c’est bien joli de chanter, d’ailleurs c’est même drôlement bien ce que vous faites, j’adore ; Vous avez un très beau talent…mais en vrai, vous faites QUOI à côté, pour VIVRE ?? »)
Voilà la difficile réalité. Ces tristes systèmes varient selon les théâtres, les salles, les cabarets mais le contrat, avouons-le, n’est jamais à l’avantage des artistes, car un directeur de salle, un programmateur, reste un commerçant. Il n’est pas rare de voir des spectacles quitter brusquement l’affiche car les artistes se sont endettés.
Autre phénomène, de l’autre côté de la chaîne, les taxes à payer à l’Etat lorsqu’on monte son spectacle. Car sur la somme restante qui sert à payer en cachet les artistes, environ 50% revient à l’Etat. Les salaires étant déclarés, ils sont soumis comme tous les autres aux charges patronales et cotisations. Bien souvent, être artiste-chanteur c’est aussi être chef d’entreprise, comptable, chargé de diffusion et de communication, administrateur…
Bref gérer un collectif d’artistes musiciens, chanteurs et comédiens est un emploi à plein temps…souvent non rémunéré.
Et il est très difficile pour ces collectifs de payer des indépendants dont c’est le métier. ( Savoir qu’en moyenne, une chargée de diffusion vous demandera dans les 3000 à 4000 € pour gérer la vente de votre spectacle… Même si au final, elle ne le vend pas. !)
Dans l’inconscient collectif, l’artiste reste encore trop souvent un bouffon et le payer est une faveur.
En fin de chaîne, c’est toujours l’artiste qu’on ne paye pas. On n’envisage pas de ne pas payer un technicien, un régisseur, une maquilleuse, un comédien, un musicien, ça coule de source … mais une chanteuse (de variétés qui plus est !!!), … Le débat qui fait rage aujourd’hui sur le salaire des stars banquables au cinéma n’est pas un hasard…Car en temps de crise, il faut bien trouver des boucs émissaires et les artistes sont une cible facile.
Ces salaires, rappelons-le, ne sont pas mensuels, mais ne tombent que tous les deux ou trois ans pour certains, voir plus ! Bizarrement, personne ne s’interroge sur les salaires des producteurs et diffuseurs…Pourquoi? Et pour parfaire le tableau, précisons qu’actuellement, les salles de spectacles sont trop souvent vides et que la fréquentation est en chute libre. D’après bien des directeurs et responsables de salle, les saisons artistiques démarrent chaque année encore moins bien que les saisons précédentes, qui était déjà parmi les pires depuis des décennies. !
On peut donc s’étonner du courage et de la vivacité de tous ces artistes, chanteurs, ACI, comédiens qui sont chaque soir sur scène pour une bouchée de pain, exerçant leur métier avec exigence et passion en acceptant la quasi gratuité de leur travail. Heureusement que dans notre société il existe encore des gens qui se battent pour la création artistique, par conviction, sans préoccupations mercantiles. Sans eux, sans ces petits lieux d’expression, sans ces festivals qu’ils tiennent à bout de bars épaulés le plus souvent par des petites équipes de copains et de fervents bénévoles, il ne resterait que le poste de télévision et la télé-réalité pour s’émouvoir…Horizon bien terne et sans reliefs.
"Natasha