20/04/2010 WWW.PUBLIK’ART Blog
chronique spectacle : « Carnacroquerie » (poésie de Guillevic) au théâtre des marronniers- Lyon. /Avril-2010
Carnacroquerie est à la fois une pièce de théâtre et un spectacle musical, mis en scène par Michel Véricel qui donne vie aux poèmes de Guillevic, breton d’origine (1907-1997), grand poète du XX siècle qui reçut le Grand prix de l’Académie Française en 1976 et é galement le prix Goncourt de la poésie en 1988. Ses poèmes peuvent toucher toutes les générations, puisqu’il est aussi étudié à l’ école primaire. Néanmoins ce spectacle s’adresse davantage aux adultes.
Grâce à Michel VERICEL, on découvre la profondeur des textes de Guillevic, son engagement, sa philosophie mais aussi des textes plus légers comme un poème sur le lit ou encore celui autour d’un l’escargot.
Grâce à Sébastien Jaudon (pianiste et compositeur) ces poèmes prennent vie au rythme d’une musique réellement variée et qu’il accompagne lui-même au piano, assisté de Marc Wolff aux percussions. Plusieurs registres sont abordés : parfois rock ou encore reggae , des passages plus lyriques mais aussi quelques airs populaires. C’est Sébastien JAUDON lui-même qui a créé et conduit musicalement ce spectacle et a dirigé les deux chanteuses sur des registres qui atteignent de réels sommets car Claire Marbot est soprano.
Natasha Bezriche chante merveilleusement en accord avec le piano et soutient fermement la profondeur des textes, la beauté des mots, avec une rare intensité. Claire Marbot (1er prix de Chant au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon) chante de son côté dans un autre registre, en soprano. Quelquefois Claire chante si haut qu’il nous semble que les mots s’envolent et du coup, la voix plus chaude et grave de Natasha nous permet de ne pas perdre le fil du texte. Son phrasé et son articulation sont toujours extrêmement justes et précis. Voilà ce que pense Natasha de son statut de chanteuse :
« Je ne suis pas une chanteuse de Variétés comme d’aucuns le disent, mais plutôt une certaine Variété de Chanteuse de celle qui chante "en vrai ", qui aime les mots et les notes, de celle qui aime partager ces moments de grâce, voire de "communion " avec le public »
L’ensemble du spectacle est très harmonieux : la voix chaude et changeante de Natasha, la voix limpide et haute de Claire, la voix de Michel plus théâtralisée, le piano de Sébastien sans oublier les percussions de Marc très discrètes mais efficaces, présentes et très originales. Ainsi on peut voir une batterie classique, côtoyer une poêle à frire, des casseroles, d’autres instruments de cuisine, des petits paniers remplis de billes, des cloches, de drôles de tambourins et encore des tas d’objets avec lesquels Marc joue en fermeté ou en douceur pour ne pas couvrir les voix des interprètes. Savant mélange de douceur et de fermeté et tout cela en rythme. Bref, le tout est franchement étonnant. Le théâtre des marronniers n’est pas très vaste et les musiciens doivent doser l’intensité de la musique de façon à ce qu’elle ne couvre pas les voix. Voilà leur grande difficulté certes mais du coup aussi, leur très grande réussite.
La poésie mise ainsi en musique est magnifiée par le comédien Michel Véricel, qui avec toute son énergie, et même avec ses tripes, défend ce texte puissant. Sur scène, Michel est porté par Guillevic ou bien porte-t-il lui-même cette poésie au plus haut niveau ?
Il dit ce texte comme une histoire, parfois fougueuse, parfois révoltée, parfois plus douce et de temps en temps même, pleine d’humour. Poésie solide comme un roc, comme les menhirs de Bretagne. Inébranlable. Véritablement unique et vivante.
Carnacroquerie est en fait une reprise plus intimiste de « Fractures », spectacle initial, joué en 2009, au centre Culturel Charlie Chaplin à Vaulx en Velin et destiné à un plus large public.
Cette version autre qu’est « Carnacroquerie » se prête davantage aux petites structures comme au théâtre des Marronniers, à Lyon, théâtre réservé à une cinquantaine de personnes, cette version est donc plus adapté à l’intime.
Tout au long du spectacle le public est en communion avec les artistes.
Pourquoi Carnacroquerie ?
-« Parce que Guillevic est né à Carnac. Parce que ses poèmes sont du roc, parce que Guillevic a fait de la résistance durant le carnage de 39, parce que le poète marxiste cède au marxiste qui fait de la poésie, parce que roquerie est une colonie d’oiseaux des régions arctiques qui se protègent du froid par leur réunion », nous dit Michel Vericel.
Cette explication de Michel Véricel est à elle seule tout un poème !
Il est dommage que sur le programme distribué aux spectateurs, ne figurent pas un ou deux poèmes de Guillevic, de façon à pouvoir les lire, apprécier et méditer
Si vous voulez les applaudir, et profiter de la beauté unique de ce spectacle vraiment original dans sa forme et sa distribution, allez vite au théâtre des Marronniers, ils sont en représentation jusqu’au 3 mai
Le poète est proche de l’oiseau qui permet de laisser la place à l’imagination et à l’imaginaire qui fait parler l’inconscient :
Une aile d’oiseau.
C’était une feuille
Qui battait au vent.
Seulement
Il n’y avait pas de vent.
(Cité par Anne-Marie Mitchell, Guillevic, pp. 85 et 86)
J’ai joué sur la pierre
De mes regards et de mes doigts
S’en allant sur la mer,
Revenant par la mer,
J’ai cru à des réponses de la pierre. »
(Carnac, p. 144)
Bénédicte de Loriol (benedicte@publikart.net)